Philanthropie et Sponsoring

Devenir e-sportif professionnel : un métier d’avenir ?

Publié le 24/08/2021
Sommaire
Esportif : une ambition professionnelle

Peut-on vivre de l’esport ? Si l’on en croit certains chiffres, la réponse est oui. Le secteur génère aujourd’hui des revenus comparables au marché mondial du tennis1. Le métier d’esportif, reconnu en France depuis 2016 par la « loi pour une République numérique », se développe et se structure. Les candidats sont donc de plus en plus nombreux, mais peu atteindront le haut niveau. Devenir « gamer » professionnel est un parcours ardu, qui dépend encore souvent au départ d’une démarche en solitaire.

Joueur esport

 

Passionnés… et autodidactes !

Pour émerger, joueurs et joueuses doivent avant tout compter sur eux-mêmes. Si certains bénéficient du soutien de leur entourage proche, leur premier cercle de supporters, c’est en solo qu’ils se forment souvent, en se spécialisant sur un jeu en particulier, en jouant plusieurs heures par jour. Il ne suffit pas d’être talentueux, encore faut-il le faire savoir, en multipliant les parties, en développant ses contacts, en construisant sa visibilité. Et en participant à des tournois. À ce stade, certains peuvent toucher jusqu’à 500 euros par mois, au gré des victoires. Pas assez évidemment pour en vivre. La plupart poursuivent donc leurs études, ou conserve leur emploi en parallèle, en espérant émerger et être repérés.

Coach au sein de GamersOrigin, club français qui regroupe plusieurs équipes, Frédéric Sialelli entraîne l’une des teams engagées dans League of Legends. Connu dans le métier sous le nom de Glopo, il souligne que cette étape où les joueurs et joueuses se construisent seuls est très sélective : « Il faut jouer énormément… C’est un moment pas forcément évident. » Mais il remarque que les choses changent : « le circuit français se structure actuellement pour faciliter la transition vers la professionnalisation ». Sur League of Legends, le championnat « Open Tour France», ouvert aux joueurs amateurs ou semi-professionnels, permet de se démarquer. Participer à des « try out » avec différentes équipes, sortes de galops d’essai, fait aussi partie des options possibles. Avec l’espoir de signer à terme un contrat avec un club ou un sponsor.

Qualités requises : discipline et concentration 

Comme dans d’autres sports de haut niveau, la qualité de jeu et le classement « solo » en compétition ne font pas tout. Pour intégrer un club professionnel, il faut aussi avoir le mental et être « coachable », prévient Glopo : « ça veut dire vivre ensemble, travailler ensemble, écouter la critique, la recevoir, savoir la faire aussi. » Il ajoute que « le facteur humain, c’est le plus important », car l’essentiel des compétitions se joue en équipe.

Être esportif, c’est aussi une vraie discipline de travail à raison de cinq jours par semaine, et cinq à huit heures par jour. En période de compétition, les équipes enchaînent en moyenne deux matches par semaine. Le reste du temps, ils s’entraînent seuls ou lors de sessions de travail avec d’autres équipes appelées « scrims ». Le coach examine alors les points à travailler individuellement et collectivement. Définir une stratégie avant un match, ou mener une offensive concertée au moment adéquat, font partie des aspects travaillés dans le but de construire une escouade cohérente, performante et soudée.

Enfin, il faut veiller à garder ses capacités de concentration et de réflexe intactes, indispensables pour la qualité de son jeu. Comme pour tout sportif, veiller à son alimentation, à son sommeil, ne pas négliger l’activité physique ni une vie sociale sont essentielles pour rester au niveau, et garder « un esprit sain dans un corps sain ». Certains clubs ont ainsi recruté des chefs cuisiniers ou des préparateurs sportifs, ou encore des ostéopathes. Un type d’encadrement déjà à l’œuvre chez GamersOrigin et mis en avant par de plus en plus de clubs en France et en Europe, soucieux de la santé et du développement de leurs joueurs. Ainsi, l’engouement et la professionnalisation du secteur aidant, le niveau des compétiteurs et compétitrices ne cessent d’évoluer.

Des carrières éclairs ?

Quel que soit le jeu, les carrières au top niveau sont plutôt courtes : entre vingt-cinq et trente ans, les joueurs et joueuses envisagent déjà la reconversion, et délaissent peu à peu la compétition. Sans quitter nécessairement l’univers du gaming : d’autres métiers s’offrent à eux dans le secteur de l’esport, comme coach ou commentateur, au sein des structures organisant les compétitions, ou encore directement chez les éditeurs de jeu.

Le statut des joueurs, durant leur carrière professionnelle, varie selon les législations nationales. En France, les pro gamers – estimés à 189 personnes en 20192– travailleront souvent sous le statut d’auto-entrepreneur, en contrat « freelance » ou en CDD « classique ». Le « CDD spécifique » créé pour l’esport en 2016 est en effet perçu par la profession comme trop contraignant et non adapté au secteur, en matière notamment de cotisations sociales et de gestion du temps de travail3

Les revenus des joueurs dépendent, pour leur part, de quatre sources : le sponsoring dont ils sont bénéficiaires ; le salaire versé par leur équipe s’ils sont sous contrat ; les « cashprizes » (récompenses) liés dans les tournois qu’ils disputent ; et les revenus issus du « streaming » de leurs parties sur des plates-formes de communication, comme Twitch ou YouTube. Les montants en jeu dépendent fortement de la scène compétitive (format, structuration, médiatisation) et du niveau sur lequel ils et elles évoluent. Difficile donc à chiffrer. Le Parisien Etudiants avance le chiffre de 2 000 euros mensuels bruts pour un débutant en France, un montant qui masque l’irrégularité et la disparité des revenus entre les joueurs. Le site esportsearnings.com donne plus de détails et annonce, sur une base de 13 704 joueurs actifs dans le monde en 2021, un revenu médian de 733 dollars US (environ 627 €) et une moyenne à 5 270 dollars (env. 4 500 €)4 – toutes disciplines et tous niveaux confondus. En clair, quelques joueurs de très haut niveau gagneront beaucoup d’argent quand la plupart auront des revenus plus modestes. Une réalité qui rappelle encore une fois d’autres sports plus installés, comme le tennis ou le football.

Pour les meilleurs, les revenus atteignent effectivement des sommes astronomiques. Lors du tournoi international Dota2 en 2019, le danois N0tail – qui est aujourd’hui le joueur le plus fortuné de tous les temps avec des revenus de 6,89 millions de dollars au total – est reparti avec une prime de 3,12 millions de dollars en poche, en tant que capitaine de son équipe. C’est le « cashprize » le plus élevé connu à ce jour. Du côté des Français, « Ceb » ou Sébastien Debs, toujours sur Dota2, a gagné à seulement 29 ans un total de 5,57 millions de dollars (4,76 millions d’euros)5

Côté femmes - et on peut s’en étonner pour un sport aussi jeune où les vieilles habitudes semblent s’être invités - les primes sont nettement moins élevées. La joueuse la plus nantie serait la canadienne Sasha Hostyn, alias Scarlett, qui évolue sur le jeu StarCraft II : à 26 ans, elle a gagné 200 000 de dollars au cours de sa carrière. Ce manque de parité et de mixité est pointé du doigt notamment par l’association Women in Games France qui aimerait bien faire évoluer les choses. Un challenge plus difficile qu’une partie de League of Legends ?

GamersOrigin, un club français de référence

GamersOrigin est un club d’esport professionnel français fondé par Guillaume Merlini en 2014. Il se développe et recrute ses premiers joueurs professionnels sur des jeux comme Overwatch ou League of Legends et les résultats sur la scène française sont rapidement au rendez-vous.

En 2018, Société Générale devient un des sponsors principaux de GamersOrigin. L’année suivante, le club lève 3 millions d’euros pour accompagner son développement : installation de salles d’entraînement à Paris dans le quartier de la Bastille, renforcement du personnel d’encadrement, recrutement de joueurs et développement sur de nouveaux jeux. Ils sont actuellement 7e du classement LFL 2021, la « première division » du championnat français du jeu League of Legends.

 

[1] Selon le Global Esports Market Report 2020 de Newzoo, analyste du monde du jeu vidéo
[2] Source : Analyse du marché et perspectives pour le secteur de l’esport, Direction générale des entreprises, juin 2021
[3] Idem
[4] En statistique, la médiane est « la valeur qui partage un ensemble d’éléments en deux groupes égaux ». Il y a donc autant de personnes dans le groupe au-dessus de cette valeur qu’en dessous. La moyenne est, elle, « le quotient de la somme de plusieurs valeurs par leur nombre ». Le résultat est donc le chiffre le plus éloigné des deux extrêmes, qu’elle que soit la distribution au sein du groupe étudié. (source : dictionnaire Le Robert)
[5] Source : esportsearnings.com