L’Afrique est davantage intégrée dans les flux financiers mondiaux
Au cours des deux dernières décennies, le sentiment général à l’égard de l’Afrique est passé de « l’afro-pessimisme » des années 80 et 90 à diverses nuances « d’afro-optimisme » depuis le début des années 2000.
Cette évolution reflète l’accélération des taux de croissance annuels dans la région, qui sont passés d’environ 2,5 % dans les années 80 et 90 à 5 % dans les années 2000 et 4 % depuis 2010. À l’exception des marchés asiatiques, les marchés africains ont été parmi les plus vigoureux et les plus résistants de ces deux dernières décennies.
Parmi d’autres facteurs (urbanisation rapide, essor de la classe moyenne, etc.), cette accélération a été alimentée par une plus grande intégration commerciale mais surtout financière de l’Afrique avec le reste du monde. Tous les types de flux financiers vers la région se sont rapidement développés depuis le milieu des années 2000. Ainsi :
- Les investissements totaux annuels (comprenant les investissements les plus « productifs » - Investissements Directs Étrangers ou IDE – et les investissements de portefeuille – souvent plus volatils) atteignent en moyenne 65 Mds USD depuis 2012, contre moins de 10 Mds USD par an avant 2000 ;
- Les flux bancaires vers l’Afrique se sont également accrus : le stock de créances internationales (créances transfrontalières plus créances locales en devises étrangères) sur des contreparties africaines ayant bondi de 75 Mds USD en 2000 à près de 200 Mds USD en 2018.
Cette plus grande intégration financière s’est toutefois accompagnée, revers de la médaille compréhensible, d’une plus grande dépendance à ces flux financiers, ce qui s’illustre notamment par des déficits courants régionaux désormais structurels (-4 % du PIB en moyenne par an depuis 2012, contre un excédent de 3,5 % en moyenne entre 2000 et 2008).
L’accélération des taux de croissance reste pour l’instant insuffisante pour assurer un rattrapage par rapport aux marchés plus développés, en termes de productivité ou de PIB par habitant, étant donné une croissance démographique encore vigoureuse (environ 2 % par an). Ainsi, au cours des 30 dernières années, le PIB par habitant de l’Afrique est resté globalement stable en pourcentage du niveau américain, sous l’effet combiné de la croissance aux États-Unis et de la dépréciation structurelle des devises africaines alimentée par des déficits courants récurrents.
Pour que l'Afrique réalise pleinement son potentiel de croissance, il faudra des taux d'investissement plus élevés. À l’heure actuelle, l’investissement total représente moins de 25 % du PIB en Afrique (stable depuis 2000), contre près de 40 % pour l’Asie émergente (en croissance depuis 2000). Étant donné des taux d’épargne structurellement trop faibles (ou mal « canalisés » en raison d’une inclusion financière encore trop peu développée), les flux financiers internationaux resteront indispensables pour financer des besoins d’investissements encore importants dans les années à venir.
Outre leur niveau, la composition (ou l’orientation) de ces flux financiers sera déterminante. La croissance des flux financiers comprend une hausse significative des flux de portefeuilles, venus financer des émissions de dette souveraine africaine. L’augmentation des flux bancaires reflète un recours accru des États Africains à l’endettement commercial. Ces deux facteurs reflètent la hausse assez rapide de l’endettement externe dans la région. En outre, les IDE stagnent depuis 2008, et ne s’orientent pas assez vers les secteurs agricoles et manufacturiers.
Accroître le niveau des IDE et leur diversification (vraisemblablement en améliorant encore des niveaux de gouvernance – économique et politique – toujours en retard par rapport aux autres régions émergentes) sera clé pour le futur de l’Afrique. Cela permettra de créer un modèle de croissance plus équilibré, plus résistant et moins axé sur quelques îlots de croissance (comme les industries extractives et les grands carrefours commerciaux). Ce nouveau modèle devra également privilégier l'agriculture, une plus grande diversification des recettes d'exportation et une finance plus inclusive pour attirer progressivement une plus grande part de l'activité rurale au sein du secteur formel.
Olivier de Boysson, Chef économiste Pays Émergents, et Clément Gillet, Économiste Afrique