Commémoration des 75 ans du débarquement
À l’occasion de la commémoration des 75 ans du débarquement en Normandie, nous vous invitons à découvrir l’histoire de l’Agence de Saint-lô à partir d’archives inédites.
Les bombardements de juin 1944
Compte-rendu des bombardements de juin 1944 par M. Harster, Directeur de l’Agence de Saint-Lô.
« Baudre le 16 juin 1944,
Je viens vous rendre compte de la situation de l’Agence de Saint-Lô après l’ouverture du deuxième front.
La ville de Saint-Lô avait subi dans la journée du mardi 6 juin, dans l’après-midi, une légère attaque aérienne (gare et centrale électrique) sans grands dommages. Le soir du même jour, vers 20 heures, 18 forteresses volantes ont attaqué le centre de la ville et causé de graves dommages. Une bombe de gros calibre est tombée à 50 mètres de notre agence ; les vitres de notre immeuble et le lanterneau au-dessus du Service des Titres furent pulvérisés. Vers 21 heures j’ai fait un tour dans les quartiers sinistrés et constaté les dégâts énormes causés par cette attaque. La Banque de France notamment était en grande partie effondrée, tout le personnel qui s’y trouvait encore à cette heure tardive pour retrouver une erreur de caisse a été blessé plus ou moins grièvement, mais la mère du Directeur et sa bonne furent tuées sur le coup. Dès mon retour à l’Agence j’ai fait entrer dans l’abri de l’Agence – la salle des coffres – toute ma famille, celle de la concierge et madame V., femme du Directeur de Cherbourg, en tout 12 personnes pour y passer la nuit.
Vers 1 heure du matin, dans la nuit du 6 au 7 juin, notre ville et spécialement les quartiers situés autour de notre immeuble, ont subi une attaque concentrée effectuée par un nombre élevé de forteresses volantes. Les bombes pleuvaient sans interruption pendant ¾ d’heures et je ne saurais vous décrire les moments atroces que nous avons passés dans notre salle des coffres qui fut ensevelie dès la chute de la première grosse bombe qui s’est abattue sur le mur maître de l’arrière de notre immeuble, mur qui s’est écroulé devant la porte d’entrée de notre salle des coffres. La fumée et une poussière intense avait envahi notre abri dès les débuts et les occupants y auraient péri étouffés, si nous n’avions eu la précaution d’y mettre en réserve des brocs d’eau. C’est en vain que nous avions tenté de nous dégager de notre abri par la porte blindée complétement bloquée par les matériaux du mur effondré, quand une grosse bombe tombée à deux mètres de notre salle des coffres est venue dégagée partiellement les matériaux accumulés devant la porte blindée. Après plus d’une demi-heure d’efforts inouïs, j’ai réussi à sortir de l’abri par le haut de la porte et hisser par-dessus deux mètres de matériaux les 11 occupants de l’abri en les tirant par les bras un à un à travers l’étroite fente de la porte blindée. Notre immeuble et tout le quartier environnant était enflammés et bien que le bombardement continuait avec rage, j’ai donné ordre aux rescapés de se diriger vers la campagne. Epuisé par les efforts faits pour dégager les personnes confiées à ma charge, j’ai subi un court évanouissement et suis resté sans connaissance pendant un laps de temps que je ne saurais préciser. En revenant à moi, couché dans l’escalier de l’immeuble qui avait résisté jusque-là, toute la partie supérieure de notre immeuble était en flamme et il fut grand temps de fuir vers la campagne.
En résumé, toute la ville de Saint-Lô est totalement détruite et il n’existe plus qu’une cinquantaine de maisons intactes dans les quartiers extérieurs, le centre est méconnaissable, et j’ai eu beaucoup de peine à retrouver, trois jours après le sinistre, l’emplacement de notre immeuble. La salle des coffres est restée debout et avec l’aide d’un de nos clients j’ai pu dégager il y a trois jours un passage pour entrer à l’intérieur et me rendre compte des dégâts causés. L’incendie de la ville qui s’est prolongé pendant environ 8 jours y a rendu quelques dégâts par la forte chaleur ; en effet les plâtres du plafond et des murs se sont détachés ainsi que les corniches de certains grands coffres. Il m’était impossible de fermer la grande porte d’entrée qui est restée bloquée depuis mardi soir – effondrement du mur maître à la chute de la première bombe du deuxième bombardement de la nuit de mardi à mercredi. Par contre, en faisant sauter avec le matériel de D.P. qui se trouvait dans la salle le dallage en briques et ciment de l’entrée j’ai réussi après de longs efforts – il régnait une chaleur d’au moins 40° dans la salle – à fermer à clé la deuxième porte (barreaux en fer) de sorte que tout ce qui se trouve à l’intérieur reste à l’abri de pilleurs. Toute la documentation, les machines à écrire et comptables de Saint-Lô et de Cherbourg ont été placées dans la salle des coffres à la fermeture des bureaux, mardi soir, il sera donc aisé de reconstituer notre comptabilité, par contre, toutes les archives ont été la proie des flammes ainsi que tout le mobilier de l’agence et des locataires de l’immeuble. Nous n’avons pu récupérer que les vêtements que nous portons sur le corps.
En résumé, la ville de Saint-Lô étant complétement détruite et inhabitable il ne peut être question pour le moment d’installer les services de l’agence dans un autre immeuble. D’ailleurs, la ligne de front se trouvant à environ 12 kms d’ici nous sommes susceptibles d’être refoulés d’ici sur d’autres communes du sud du département.
Signé Harster sinistré de Saint-Lô ».
L’installation provisoire en 1945-1946
Compte-rendu de la visite au bureau de Saint-Lô du Secrétariat du Service des Immeubles et du Matériel
« Le 22 mai 1945,
Accompagné de Monsieur Harster, nous passons au Bureau de Saint-Lô le 22 mai et nous y rencontrons le nouveau chef de bureau, Monsieur Moreau.
L’installation provisoire est tout à fait insuffisante ; elle est située dans l’extrême périphérie de la ville, c’est même à peu près la dernière maison de la localité avant la pleine campagne.
Les employés travaillent malaisément dans une unique pièce dépourvue de guichet. Quant au Chef de Bureau il dispose d’un cabinet très étroit.
Il semble que l’agence de Coutances ait beaucoup tardé à s’occuper de la réinstallation provisoire du bureau. Dans les premiers mois qui ont suivi le bombardement de la ville il aurait été possible, croyons-nous, de trouver, dans le centre de la ville, un immeuble peu sinistré et facilement réparable.
Nous savons qu’il y a eu quelques occasions qui, toutes, ont été saisies par des commerçants ou des Administrations publiques.
Parmi les solutions qu’il reste à envisager maintenant, il faut mettre en ligne, soit la construction d’un baraquement sur l’un des emplacements désignés par le Ministère de la Reconstruction, soit la recherche d’un immeuble encore debout.
L’aspect de la ville n’a pas changé depuis les bombardements, seules les rues ont été déblayées, mais les maisons sinistrées n’ont pas été touchées, et c’est un aspect vraiment lamentable que de voir toutes ces ruines et tous ces murs calcinés par l’incendie. Il semble que la vie ne reprenne que très lentement dans la ville ; la circulation y est pour ainsi dire nulle.
M. Moreau, précédemment à l’agence du Mans, n’est arrivé à Saint-Lô qu’au début du mois de Mai. Il a trouvé une situation difficile, un personnel médiocre composé de : 1 employé principal, 1 démarcheur, 1 caissier et 2 dames employées. Un employé a été mobilisé récemment.
Il faudrait, d’après M. Moreau, 2 employés nouveaux. M. Harster lui promet de lui envoyer d’ici 5 ou 6 semaines 2 agents de Coutances : le chef du Portefeuille et le chef de la Comptabilité, qui désirent rentrer à Saint-Lô.
Les services du bureau sont très en retard. Les Titres n’ont pas été expédiés depuis avant le bombardement.
Il semble bien que M. Depaigne, employé principal, pendant ses quelques mois de gestion, n’ait rien fait d’utile pour remonter une situation qui, évidemment, n’était pas très facile.
M. Moreau nous a paru assez découragé par les difficultés nombreuses et très grandes de sa tâche nouvelle. Il n’a juste pu jusqu’à maintenant trouver à se loger personnellement que dans des conditions extrêmement précaires, et ses deux repas lui coûtent, en moyenne, 120 frs par jour. Il demande que le Département du Personnel veuille bien envisager une indemnité spéciale pour lui.
Parmi les autres questions que nous avons vues sur place, il y a celle des imprimés. M ; Moreau nous remet une demande d’imprimés et de fournitures à satisfaire d’urgence. Il conviendrait que des acomptes lui soient expédiés le plus rapidement possible par les moyens les plus prompts.
En dehors des imprimés et articles figurant sur cette demande, M. Moreau réclame des feuilles de position pour Comptes-Courants Divers (500 feuilles) avec une reliure et des feuilles de position pour Comptes de Chèques (1.000 feuilles° avec 2 reliures.
En outre, il aurait besoin de 1.000 cartons pour Clients Divers.
Enfin, il serait heureux de recevoir, le plus tôt possible, 3 pneus pour vélos 650 standard, et dès que l’on pourra une bicyclette neuve. »
La reconstruction de 1953
Allocution prononcée par M. Lorain, directeur général à l’inauguration de l’agence de Saint-Lô le 6 mars 1953
« Votre ville, Messieurs, est toujours présente dans ma mémoire parce qu’elle évoque pour moi des souvenirs professionnels très émouvants.
J’ai le souvenir, d’abord, d’un étrange voyage fait au milieu de juillet 1944 dans les deux départements de l’Orne et de la Manche. J’avais trouvé partout nos Agences et nos Bureaux détruits, mais, partout aussi nos Chefs de Guichets, conformément à leurs consignes, avaient immédiatement ouvert une installation provisoire dans un village des alentours. Ici dans une grange, là dans une salle d’école et avaient remis leurs services à la disposition de leur clientèle. Les dépôts d’espèces et de titres affluaient ; nous chargions, pour les rapporter à Paris, les billets et valeurs qui venaient progressivement remplacer dans notre camionnette le charbon de bois au fur et à mesure qu’il était brûlé. Et je peux avouer maintenant que nous complétions le chargement par de la viande et du beurre qui ont aidé utilement à l’époque la nourriture de notre personnel parisien.
Venant de Villedieu-les-Poëles, nous étions parvenus difficilement dans le rayon de Saint-Lô. La route de Coutances était cassée par des trous de bombes, de sorte que nous avions dû abriter provisoirement notre camionnette derrière un de ces talus boisés qui coupent le bocage Cotentin et que nous avions été obligés de continuer notre voyage à bicyclette. Dans un village, près de Coutances, nous avions enfin trouvé le chef de bureau : depuis le débarquement, il n’avait reçu aucun courrier et il avait été coupé de toute liaison avec le reste de la France.
C’est par lui que nous avons appris l’histoire tragique de Saint-Lô : la ville à peu près complétement anéantie sous les bombardements et les incendies, plusieurs centaines de morts gisants sous ses ruines. Votre Directeur d’alors, M. Harster, dont ces épreuves ont contribué à ruiner la santé s’était dégagé avec beaucoup de peine des décombres de sa salle des coffres.
A ce moment, les troupes américaines avaient déjà pris pied dans Saint-Lô et préparaient la percée sur Avranches qui devait conduire leurs blindés jusqu’à la Bretagne, la Loire, la Sarthe et Paris. En partant de Coutances j’avais donné l’ordre de rétablir le plus tôt possible un guichet à Saint-Lô, dès que l’évolution de la situation militaire le permettrait.
C’est à notre nouveau directeur, M. Bonnet qu’est échue la tâche difficile d’appliquer ces instructions. Ayant d’abord installé la direction de l’Agence à Coutances, il parvenait très vite à assurer sur place à Saint-Lô l’ouverture d’un guichet provisoire, dans un local de la périphérie mis aimablement à notre disposition par son propriétaire. Puis, il obtenait, dès la fin de 1945, l’autorisation de construire un baraquement provisoire qui fut achevé en quelques mois qui lui permettait de ramener dans votre ville les services de la direction et de l’Agence.
J’ai tenu à revenir à Saint-Lô en mai 1946 pour inaugurer ce baraquement. J’ai gardé un souvenir très ému de cette petite cérémonie, pourtant si simple.
Sur les bords de la Vire, au pied du Rocher dominé par le squelette de l’Eglise Notre-Dame, notre baraque aux couleurs pimpantes faisait, au milieu des ruines, figure d’une vraie maison. C’était la première reconstruction de la Société Générale et comme la préfiguration de toutes celles dont nos espoirs étaient chargés. Je n’oublierais pas le premier drapeau flottant sur la première toiture neuve et l’odeur de peinture fraîche dont nos narines étaient sevrées depuis sept ans … ».