Les défis de la BCE face à l'exceptionnalisme américain
L’économie américaine reste dynamique et le consensus prévoit désormais une croissance du PIB réel de 2,4 % en 2024, au-dessus de la tendance et près du double des prévisions en fin d'année dernière. L'écart avec les autres grandes économies est frappant, leurs perspectives de croissance sont inférieures à la tendance. Pour la zone euro, le consensus table sur une croissance de seulement 0,5 %.
De plus, alors que le processus de désinflation aux États-Unis a calé au début de 2024, les anticipations du marché de trajectoire du taux directeur de la Fed ont changé. Alors qu'en fin d'année dernière, les marchés s'attendaient à ce que la Fed réduise ses taux d'au moins 125 points de base en 2024, ils ne prévoient plus fin avril qu'une seule baisse de 25 points. Cela pose des défis aux autres banques centrales, notamment à la BCE.
Comme l'économie américaine est souvent en tête du cycle mondial, une première question se pose quant à la robustesse de son expansion. On peut en douter avec la première estimation de croissance du PIB au premier trimestre 2024, de seulement 1,6 % en glissement trimestriel annualisé, et la publication d’autres indicateurs avancés plus faibles. La croissance de l'économie ne provient que de quelques secteurs. Elle est soutenue par l'assouplissement de la politique budgétaire, qui devient plus restrictive. Pour 2025, les incertitudes augmentent à l'approche des élections. Des politiques commerciales protectionnistes pourraient freiner à la fois les États-Unis et leurs principaux partenaires commerciaux.
La zone euro est de son côté confrontée à une période de politiques budgétaire et monétaire restrictives. L’impact du moteur américain est atténué car les autres marchés d'exportations clés sont aussi confrontés à des perspectives de croissance moroses.
Une deuxième préoccupation concerne les pressions inflationnistes importées par le biais d'un dollar fort, pour les matières premières dont le prix est en dollars, notamment le pétrole.
Cependant, toutes choses égales par ailleurs, l'impact plus large sera désinflationniste. Les consommateurs contraints de dépenser plus pour l'énergie, devraient dépenser moins pour d'autres biens et services. Notons également qu'avec la faiblesse d'autres devises par rapport au dollar, l'euro pondéré par les échanges commerciaux enregistre une dépréciation moindre, ce qui atténue ce risque d’inflation importée.
Le change n'est pas le seul canal de contagion de la politique monétaire américaine. Compte tenu de la domination du système financier américain, la hausse des taux d'intérêt américains se répercute souvent, au moins en partie, sur les taux d'intérêt à l'échelle mondiale. Nous l’avons observé ces derniers mois, et cela a pour effet de resserrer les conditions financières. En fin de compte, l'exceptionnalisme actuel des États-Unis est un argument pour que la BCE envisage davantage de baisses de taux, plutôt que moins.
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Michala Marcussen
Chef Économiste du Groupe et Directrice des Études économiques et sectorielles